Qu'ont donc fait les femmes indiennes l'État de Gujarat à l'ouest du pays pour mériter d'être privées de téléphone portable ? Rien, si l'on en croit le Hindustan Times , à part ne pas encore avoir trouvé de mari.
Selon le quotidien indien, le village de Suraj a décidé mi-février d'interdire aux femmes de posséder ou d'utiliser un téléphone mobile. Les contrevenantes prises en flagrant délit devront s'acquitter d'une amende de 2 100 roupies (environ 27 euros). Le village encourage également la délation : chaque "informateur" donnant le nom d'une fraudeuse recevra une prime de 200 roupies (2,60 euros). Quand on sait que le salaire journalier moyen en Inde est de 193 roupies (2,5 euros), le choix sera sans doute vite fait pour les Indien.ne.s souhaitant arrondir leurs fins de mois.
Le téléphone mobile détourne de l'exécution des tâches domestiques
Pour expliquer leur décision, les anciens du village ont invoqué le danger que représentaient les femmes en possession d'un téléphone portable. "La consommation d'alcool par les hommes et l'utilisation du téléphone cellulaire par les femmes crée beaucoup de perturbations dans la société. Les jeunes filles s'égarent, cela peut briser des familles et ruiner des relations", a déclaré Raikarnji Thakor, chef de la communauté du nord du Gujarat. Et d'ajouter que les femmes pourront utiliser un portable dans un seul cas : si c'est l'un de leurs parents qui se trouve au bout du fil.
Interviewé par le Hindustan Times, le chef du village de Suraj, Devshi Vankar l'affirme : la décision des anciens a été saluée par les 2 500 habitants du village. "Pourquoi les jeunes filles auraient-elles besoin d'un téléphone mobile ?, s'interroge-t-il. Internet est une perte de temps et d'argent pour une communauté de la classe moyenne comme nous. Les filles feraient mieux d'utiliser leur temps libre à étudier et faire des travaux domestiques."
Un moyen de saper l'autonomisation des femmes
Suraj n'est pas le premier village indien à interdire aux jeunes femmes l'utilisation des téléphones portables. Dès 2014, une communauté rurale du Rajasthan avait pris une décision similaire. La ville de Muzaffarnagar, dans l'Uttar Pradesh a aussi banni le port de jeans et d'autres vêtements "occidentaux".
Des interdictions d'un autre âge qui surviennent alors que le gouvernement indien vient de soutenir financièrement le lancement du Freedom 251, le smartphone le moins cher du monde : 251 roupies, soit 3,30 euros, moins cher qu'un menu Big Mac chez McDonald's.
Selon Mashable , l'Inde compte un milliard d'utilisateurs de téléphone portable. Femmes et hommes ne sont cependant pas égaux dans leur accès aux nouvelles technologies. Une étude réalisée l'an dernier a estimé qu'il y avait 113 millions de moins de femmes que d'hommes qui possèdent un téléphone cellulaire dans le pays, soit un écart entre les sexes de 36% dans l'accès à la téléphonie mobiles. L'étude suggère également que, outre des ressources limitées et de l'autonomie financière, les normes sociales ont souvent servi de "barrières cachées" en entravant la propriété et l'utilisation mobile des femmes. Il en va de même avec Internet : alors que 88% des utilisateurs d'Internet en milieu rural sont des hommes, 12% seulement sont des femmes. Difficile, à la vue de ces données, de considérer la décision des anciens d'interdire aux femmes l'usage des téléphones portables comme autre chose qu'un moyen de saper leur autonomie et leur indépendance.
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