Kavathe Piran, dans l’Etat du Maharashtra, est un village de lutteurs. Chaque jour, jusque tard dans la soirée, les hommes et les garçons vêtus d’un pagne rouge s’affrontent dans la salle d’entraînement, le corps couvert de boue rouge séchée. Mais, à l’extérieur, c’est une équipe peu ordinaire qui exprime sa puissance. Il s’agit des dix-sept membres du conseil du village, ou panchayat, exclusivement composé de femmes. Chaque matin, après avoir envoyé les enfants à l’école, préparé le repas et rapidement tracé un rangoli [dessin fait au sol avec de la poudre de riz] devant la porte, les femmes quittent leur maison pour se rendre au bureau du panchayat.
Neeta Bhosle et Alka Jakhlekar ont eu une journée bien remplie. Elles ont examiné les documents relatifs à un différend foncier, reçu des villageois venus se plaindre de l’augmentation des factures d’électricité et assuré les tours de garde pour la sécurité dans le village, avant de regagner leur foyer à 16 heures. Voilà six ans que le vent du changement a soufflé sur Kavathe Piran – et ses 1 600 hectares de champs de canne à sucre et de blé et de plantations de poivron et de soja. Jusqu’à cette date, les femmes de Kavathe Piran n’avaient pas le droit de s’aventurer hors de leur maison sans être voilées. Le panchayat et les affaires politiques étaient bien sûr la chasse gardée des hommes. Le village croulait sous les problèmes – l’alcool, le gutka [tabac à chiquer], le crime, les violences domestiques, etc. Les femmes de Kavathe Piran n’avaient alors pas leur mot à dire. Mais les choses ont changé en 2003, à l’occasion d’une banale campagne pour la propreté dans le village. Malgré le machisme général, les hommes n’ont pas protesté lorsque les femmes ont déclaré qu’il faudrait leur laisser une chance de changer les choses. Deux ans plus tard, en l’absence d’adversaires, les dix-sept femmes menées par Sujata Chowgule ont remporté les élections locales. Les progrès sont aujourd’hui incontestables.
“La première année, nous avons décidé d’interdire l’alcool dans le village. A l’époque, dix-neuf échoppes contribuaient à ruiner la vie des villageois. Nous les avons toutes détruites et nous avons jeté les bouteilles, qui représentaient une valeur de 250 000 à 300 000 roupies [de 3 700 à 4 500 euros]. Kavathe Piran est également le premier village à avoir interdit le gutka, bien avant que le gouvernement ne le fasse à son tour”, explique Sujata Chowgule, la responsable en chef du panchayat. Le conseil du village a ensuite mis l’accent sur le développement. Il a aidé les gens à ouvrir des moulins à farine, des laiteries, des épiceries, des restaurants et diverses échoppes en s’assurant de la création de nouveaux emplois. Le panchayat s’est ainsi attiré une sympathie bien méritée.
“Le panchayat a fait des choses simples qui représentent beaucoup. Il nous a aidés à prendre conscience que nous pouvions faire un meilleur usage de nos droits”, confie Papita Laxman Patil, une enseignante. Il fut un temps où elle ne pouvait pas effectuer le trajet de 500 mètres qui sépare sa maison des bureaux du panchayat sans être escortée par un homme. “J’exerçais déjà mon métier, mais mon salaire revenait à mon mari et il n’y avait jamais suffisamment d’argent à ses yeux. Je connais beaucoup de femmes qui contractaient des emprunts auprès d’usuriers simplement pour pouvoir remettre de l’argent à leur mari, qui allait ensuite le dépenser en boisson”, se souvient-elle. Mais le panchayat a encouragé la constitution de groupes d’entraide pour les femmes. Tandis que le village s’apprête à célébrer Gudi Padwa, la fête de la moisson, les rangolis deviennent plus gros et les maisons sont merveilleusement décorées. Le nom figurant sur la porte est celui de la femme qui habite la maison.
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